International Journal of Research and Innovation in Social Science

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Identification Des Pratiques De La RSE : Une Analyse A Partir Du Discours Des Dirigeants Dans Les PME Agroalimentaires Camerounaises 

Identification Des Pratiques De La RSE : Une Analyse A Partir Du Discours Des Dirigeants Dans Les PME Agroalimentaires Camerounaises 

GHEMBU TAKAMHOUO Daniel Tim’s

Doctorant en Sciences de Gestion, Enseignant Assistant- Chercheur, Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales (ESSEC), Université de Douala

Laboratoire d’Economie et de Management Appliqué (LEMA), Cameroun

DOI: https://dx.doi.org/10.47772/IJRISS.2024.803020S

Received: 28 March 2024; Accepted: 08 April 2024; Published: 10 May 2024

RESUME

Initialement développée dans le cadre des grandes entreprises, la RSE s’installe progressivement dans les PME de manière spécifique car il n’existe pas de formule unique pour intégrer la RSE dans les entreprises en absence d’un modèle « universel ». Chaque entreprise doit relever les défis auxquels elle est confrontée en tenant compte de sa propre culture et de sa situation particulière. Le présent papier a pour objectif de comprendre la manière dont les pratiques de la RSE sont mises en place au sein des PME agroalimentaires camerounaises. Pour y parvenir, nous avons adopté la méthode des études de cas multiples de l’approche qualitative. L’outil de collecte des données utilisé dans le cadre de cette étude est le guide d’entretien. Nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de cinq PME locales qui mettent en pratique la RSE en leur sein, acceptent de les présenter, et sont capables d’en rendre compte de manière intègre. Pour mieux comprendre le phénomène étudié en rapport avec l’objectif de notre étude, nous avons opté pour l’analyse de contenu. Les principaux résultats issus de nos investigations des discours des dirigeants de PME révèlent que toutes les pratiques de la RSE sont identifiées au sein des PME agroalimentaires du Cameroun mais à des niveaux d’importances différentes. Les PME accordent par ordre de classement plus d’importance aux pratiques économiques, sociales et sociétales, et enfin environnementales. Les efforts des PME dans ce sens sont orientés vers les réseaux de partenariats et la collaboration en dépit des difficultés liées aux ressources, à la bonne appréhension de la RSE et de la concurrence des grandes entreprises étrangères ; auxquelles elles font face.

Mots clés : Pratiques de la RSE ; PME agroalimentaires ; RSE ; dirigeants

INTRODUCTION 

Avec les Scandales financiers dus aux dirigeants véreux et aux administrateurs incompétents, avec l’expansion de la concurrence déloyale, de la corruption, des lourdeurs administratives, des pressions fiscales, des problèmes d’inégalité, d’abus de biens sociaux, et d’autres pratiques immorales avec les phénomènes de globalisation et de déréglementation le constat du recul des rôles sociaux et économiques de l’Etat est rapidement fait. Entrainant une croissance des revendications sociales (Dontenwill, 2005). Cette vague de comportements désastreux que connaissent les entreprises ces dernières années rendent clairement le témoignage d’une gouvernance approximative qui entraine la perte de légitimité, de valeur, de compétitivité et de pérennité. C’est face à ces revendications que le concept de la responsabilité sociale de l’entreprise (désormais RSE) se s’est fortement propagé dans le monde depuis les années 1950. A cet effet, l’éthique dans les affaires devient incontournable et bien plus qu’une question de choix, elle devient désormais un devoir pour toutes les entreprises en quête de légitimité, de prospérité ct de pérennité. Cependant, la majorité des études qui ont tentées de cristalliser le concept de la RSE ont été réalisées dans les pays développés, ce qui laisse encore la place aux questionnements et qui légitime l’intérêt de continuer l’étude de ce concept dans le cadre d’un pays sous développé comme le Cameroun (T. Ghembu et Al.,2024).

Le recensement général des entreprises (RGE) au Cameroun effectué par l’INS (2016) révèle qu’environ la moitié des entreprises du secteur secondaire est constituée des entreprises agroalimentaires (soient 27 958). Ceci dans un environnement légal en la matière n’est pas encore assez contraignant (hormis l’environnement) ; certainement ce contexte est plus favorable à l’engagement dans la RSE tel que souligne l’étude de Djounda et al. (2018).

Au Cameroun par contre, une PME est une entreprise de moins de 100 personnes dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas trois milliards de FCFA. En fait, une PME est un ensemble constitué de très petites entreprises (TPE), de petites entreprises (PE) et de moyennes entreprises (ME). Au Cameroun, une TPE est une entreprise qui a moins de cinq personnes et un chiffre d’affaires annuel hors taxes qui n’excède pas 15 millions de Francs CFA. Une PE par contre, est une entreprise dont l’effectif varie de six à 20 personnes avec un chiffre d’affaires annuel hors taxes compris entre 15 et 250 millions de Francs CFA. Enfin une ME au Cameroun est une entreprise dont l’effectif est compris entre 21 à 100 personnes avec un chiffre d’affaires annuel hors taxes supérieur à 250 millions, et n’excédant pas trois milliards de Francs CFA.

Cependant, il se dégage un paradoxe selon lequel les PME Agroalimentaires caractérisées par des difficultés liées aux produits de contrebande, la vétusté du matériel de production, l’absence de sécurité de certaines zones de production, l’insuffisance qualitative et quantitative des structures de conservations, les moyens limités et le manque d’expertise, la difficulté d’accès au crédit, la faible synergie des opérateurs du secteur, les difficultés d’approvisionnement des matières premières, etc. d’une part et d’autre part les exigences de qualité et de sécurité sont de plus en plus élevées. Au vu de ce qui précède, nous sommes amenés à nous poser la question suivante qui constitue la trame de fond de notre étude :

« Comment les PME agroalimentaires au Cameroun s’engagent dans les actions RSE ? » De cette question principale, découlent les questions spécifiques suivantes :

  • Quelles sont les pratiques de la RSE identifiées chez les PME agroalimentaires ?
  • Quelles sont les motivations à la mise en œuvre de la RSE dans les PME agroalimentaires ?
  • Quelles sont les freins à la mise en œuvre de la RSE dans les PME agroalimentaires ?  

Au regard de tout ce qui précède, notre étude se propose de comprendre la manière par laquelle les PME agroalimentaires identifient et mettent en place les actions de la RSE. Pour répondre à cette problématique ; nous exposerons de prime abord les travaux antérieurs qui mettent en relief la description de la RSE. Par la suite, nous présenterons les différentes pratiques de la RSE en contexte de PME agroalimentaires, pour enfin nous focaliser sur les aspects méthodologiques et les résultats.

SYNTHESE DES TRAVAUX ANTERIEURS SUR LA RSE 

Définitions de la RSE : un concept multidimensionnel

La Commission Européenne va définir dans son livre vert, en 2001, la RSE comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». En 2011, elle formulera une nouvelle définition sans le mot « volontaire », la RSE sera ainsi définie comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Bien que cela ne signifie pas que la démarche RSE soit devenue obligatoire, elle témoigne de la nécessité de l’application d’une RSE avec des standards, voire des réglementations au regard de l’absence de consensus et d’unanimité sur sa définition et son application par l’entreprise.

Les dimensions de la RSE dans la littérature

Plusieurs méthodes ont été utilisées dans la littérature pour mesurer la RSE partant du modèle quadridimensionnel de Carroll (1991) au modèle tridimensionnel de Reynaud (2003). Dans le domaine agroalimentaire, la RSE est étudiée et analysée suivant la problématique du développement durable, mais du point de vue des organisations à travers leur capacité à répondre aux attentes de ce que l’on appelle communément les « parties prenantes » (stakeholders). Ainsi le modèle tridimensionnel de la RSE met en évidence :

  • La responsabilité sociale : elle englobe les répercussions sociales de l’activité de l’organisation pour l’ensemble de ses parties prenantes. L’organisation est évaluée à partir de sa politique sociale et du respect des droits de l’homme (Hounton,2013).
  • La responsabilité environnementale : elle concerne la compatibilité entre l’activité de l’organisation et la protection des écosystèmes (Ernult et Ashta, 2007).
  • Enfin, la responsabilité économique : elle fait référence à la performance financière (efficacité, efficience), mais aussi à la capacité de l’organisation à contribuer au développement économique de sa zone d’implantation et à celui de ses parties prenantes (Reynaud, 2003 ; Daouda, 2014).

Dans le cadre de ce travail, nous allons prendre en compte toutes les dimensions de la RSE en s’appuyant sur le modèle tridimensionnel au regard de l’analyse de la RSE suivant la problématique du développement durable.

PRATIQUES DE LA RSE AU SEIN DES PME : MOTIVATIONS ET FREINS

Partant du constat de Khalid (2015), la définition, l’opérationnalisation et la pertinence de la RSE demeurent discutables ; nous nous sommes concentrés dans l’étude, sur un secteur Agroalimentaire et en revisitant l’échantillon (PME). Comme pratiques de la RSE au sein des PME agroalimentaires, nous retiendrons les pratiques économiques, les pratiques sociales et sociétales, les pratiques environnementales ; ceci dépendant des paramètres (motivationnels ou freins) à la mise en place.

Les pratiques de la RSE dans les PME

Les pratiques économiques

De nombreux auteurs ont mené des études sur les actions économiques développées par les entreprises pour mieux comprendre les pratiques de la RSE en contexte de PME. Ainsi les travaux de (Mamboundou, 2003), (Feudjo, 2010), (Igalens et Tahri, 2012), (OCDE,2002), (Tekam et Kakeu, 2020), ISO 26000 définissent quelques pratiques économiques mises en œuvre au sein des PME. La démarche RSE rime davantage avec performance économique qu’avec dépenses supplémentaires. « Faire plus et mieux avec moins », c’est un peu l’adage de tout entreprise qui s’engage à réfléchir à sa responsabilité sociétale en questionnant la stratégie de sa structure, son sens, sa pérennité et en repensant ses organisations. Ainsi du point de vue économique, elle permet de promouvoir une politique d’achats responsables, de respecter l’éthique des affaires et la déontologie de la profession, de mesurer l’impact des actions RSE mises en place et d’en organiser la communication, de faire face à la globalisation et aux évolutions du marché, d’améliorer l’efficacité globale de l’entreprise par une optimisation des coûts, la mise en place d’indicateurs de performances et par une meilleure préparation aux changements nécessaires à toute organisation, de favoriser la transparence et le dialogue auprès des acteurs de l’entreprise : clients, fournisseurs, actionnaires, banques, assureurs, riverains, associations, pouvoirs publics et collectivités…La tendance actuelle n’est pas seulement à l’augmentation de la valeur économique « quantitative » de l’entreprise (actif, carnet de commandes, trésorerie…), mais aussi à celle de la valeur économique « qualitative » (éthique, réputation, marques, brevets, clients, capital humain, système d’information, capital environnemental, partenaires…).

Les pratiques sociales et sociétales.

A cet effet, les travaux de Bertrand (1991), Alvesson (2002), Igalens et Tahri (2012), ISO 26000 nous font état des pratiques sociales et sociétales mises en œuvre au sein des PME. Les PME sont des acteurs majeurs du développement durable dans leur territoire. Par la nature de leur activité, leur responsabilité sociétale se trouve en premier lieu mobilisée dans la valorisation de leur « capital humain » en tant qu’employeur de grande ampleur sur un territoire. Attirer les compétences et fidéliser les usagers, notamment grâce à la qualité des organisations et en créant du sens, sont les fondements d’une gouvernance éthique. L’organisation joue un rôle social de premier ordre, que ce soit vis-à-vis de ses salariés ou vis-à-vis de la société dans son ensemble. De ce point de vue, la mise en œuvre de la RSE peut conduire à l’amélioration des conditions de travail et de la sécurité au travail, au respect des droits des salariés et des consommateurs, au bien-être des salariés et au développement de leurs compétences, à l’égalité entre les hommes et les femmes, à une plus grande diversité ethnique, sociale et culturelle au sein des équipes, à créer et consolider l’emploi des jeunes, à contribuer à la lutte contre certaines maladies (Capron, 2005), à constituer une occasion de développer des formules d’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise et d’épargne salariale.

Les pratiques environnementales.

Les pratiques environnementales sont plus exploitées par les grandes entreprises que les PME.  Selon les recherches menées par Igalens et Tahri (2012), Berger-Douce (2008), ISO 26000, les pratiques environnementales développées au sein des PME concernent la compatibilité entre l’activité de l’organisation et la protection des écosystèmes au sens d’Ernult et Ashta (2007). Les PME sont confrontées à quatre grands enjeux liés à l’environnement : règlementaires (éviter les risques juridiques et financiers liés à la non-conformité), économiques (maîtriser les coûts et assurer l’accès aux marchés), stratégiques (anticiper sur les évolutions) et managériaux (motiver le personnel). On distingue ainsi quatre approches de la maitrise de l’environnement : technologique, managériale, produit et territoriale. Les PME abordent ces enjeux de façons diverses et peuvent globalement être classées en trois groupes selon leur comportement en matière d’environnement :

–  Le comportement éco-défensif correspond à une absence de prise en compte de l’environnement, celui-ci étant considéré comme une contrainte dont on essaie de se soustraire.

–  Le comportement éco-conformiste correspond au simple respect de la réglementation, celle-ci est considérée comme une contrainte, mais l’entreprise s’y conforme.

–  Le comportement écosensible : ces entreprises dépassent les exigences réglementaires et considèrent l’environnement comme un facteur de différenciation ou d’avantage économique.

Sur le plan écologique, la RSE peut conduire à limiter les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise, économiser les ressources comme le papier et l’eau, limiter la consommation d’énergie, qu’il s’agisse d’électricité, de chauffage ou de carburant, privilégier les locaux « durables », notamment ceux respectant les fameuses normes BBC (Bâtiment Basse Consommation), à prendre soin d’organiser le tri et le recyclage des déchets. Des comportements différents seront observés selon le type de problèmes environnementaux (pollution, atteinte à la santé -Pérez, 2005-) ; la gestion des ressources, de l’énergie ou des déchets, pouvant avoir des retours économiques directs tangibles, vont conduire les entreprises à s’engager plus facilement que sur des questions coûteuses où le retour économique n’est pas identifiable.

Les paramètres pris en compte dans la pratique de la RSE dans les PME

Pour une entreprise, intégrer les pratiques de RSE revient à mettre en œuvre des actions concrètes relatives à chaque dimension de la RSE. Ceci ne se fait pas sans difficultés compte tenu de la spécificité de chaque entreprise ou organisation et de leur contexte d’évolution.

Les facteurs motivationnels à la pratique de la RSE dans les PME

Plusieurs facteurs motivationnels de la pratique de la RSE dans les PME ont été soulevés dans la littérature avec les travaux d’Igalens et Tahri (2012), du référentiel ISO 26000, Mamboundou (2003), Feudjo (2010), Berger-Douce (2008), Bertrand (1991), Alvesson (2002), Tekam et Kakeu (2020). Les motivations des dirigeants des PME à la pratique de la RSE sont liées à l’amélioration l’image de l’entreprise pour contribuer au développement local et durable ; au dialogue social ; à l’attractivité des salariés et dirigeants ; à la compétitivité sur le marché international, aux exigences règlementaires de l’Etat, etc. Tous ces facteurs recherchés ayant pour dénominateur commun lié au pilotage de la RSE dans la PME, le dirigeant est le chef d’orchestre de la mise en œuvre des actions RSE dans un contexte donné.

Le rôle central du dirigeant dans la mise en œuvre des pratiques de Responsabilité Sociale de l’entreprise

Le dirigeant occupe une place centrale dans la mise en œuvre des pratiques de la RSE dans l’entreprise, et d’autant plus dans la PME. Les entreprises de petite taille sont souvent caractérisées par des prises de décision non formalisées et rapides, fortement centralisées au niveau du dirigeant (Torrès, 2000, p. 5). Dans la PME, plusieurs termes sont utilisés pour désigner/signifier le dirigeant : on parle de patron, dirigeant, chef d’entreprise, entrepreneur, manager… etc. Dans la mise en œuvre des pratiques de la RSE, le dirigeant de la PME jouit d’un rôle fondamental et est présent à tous les niveaux de l’organisation ou, tout du moins, prend part à toutes les décisions jugées stratégiques. Généralement, le dirigeant dispose de la majorité du capital de l’entreprise, détenu par des membres de la famille qui occupent également des fonctions clés dans l’entreprise. Le rôle des valeurs partagées par ces membres est donc très étroitement corrélé à la façon dont l’entreprise est gérée. Le dirigeant communique et partage sa propre vision au reste de l’entreprise. Pour Spence et al. (2007, p. 20), les pratiques RSE des dirigeants de PME peuvent être influencées par des pressions émanant de parties prenantes internes ou externes à l’entreprise. Dans sa gestion, le circuit de décision est court et un système d’information peu complexe, basé sur une transmission orale et peu formalisée.

Si la gestion du dirigeant est toujours personnalisée[1], c’est que ce dernier projette sa personnalité sur son entreprise, il influence son développement par ses caractéristiques personnelles, ses buts et aspirations, ses compétences, mais aussi ses valeurs qui déterminent son mode de management à savoir : le respect, l’honnêteté, la transparence…etc. Cela permettra de construire une relation de proximité et un climat de confiance entre lui et ses employés.

Pour Dupuis et al. (2007), Berger-Douce (2008) et Ben Larbi et al. (2013), il y a généralement une différence entre les discours des dirigeant de PME et les pratiques réellement mises en place. Selon Oueghlissi (2013), les PME s’impliquent généralement de manière plus ou moins importante dans des actions RSE sans même en avoir conscience. L’omniprésence du dirigeant dans mise en œuvre des pratiques de la RSE suppose que la PME ne peut pas être appréhendée comme une grande entreprise miniature, mais, comme le précise Allali (2002), « il ne faut pas en comprendre cependant que le dirigeant, parce qu’il joue un rôle central, agit tout seul au sein de la PME. En effet, il est souvent entouré d’une équipe, informelle la plupart du temps, de collaborateurs, d’amis, de membres de la famille, etc. qui sont autant de conseillers, voire d’éléments de réserve en cas de besoin. Il n’est pas rare non plus de trouver dans la PME un fidèle second […][2] ».

Appréhension de Responsabilité Sociale de l’entreprise par les dirigeants

L’ambiguïté de la définition de la RSE se répercute évidemment dans ses pratiques. Mettre en place les pratiques de RSE, c’est intégrer les préoccupations sociales, environnementales et économiques au sein des activités de l’entreprise. Il s’agit tout d’abord de faire un diagnostic social et environnemental en plus du diagnostic économique et financier en fonction des besoins de l’entreprise et des attentes des parties prenantes. Ensuite il faut définir les orientations à suivre ainsi que les objectifs d’amélioration le cas échéant. Enfin, il faut définir les programmes d’action adaptés à l’entreprise pour une mise en œuvre effective de la RSE et construire des dispositifs de reporting afin d’en rendre compte.

  • Le développement d’une vision managériale de la RSE

Pour Lapointe et Gendron (2005), « Concrètement, la responsabilité sociale se traduit le plus souvent sous la forme de chartes ou de codes de conduite, qui tentent de formaliser des balises, le plus souvent déterminées par l’entreprise elle-même, susceptibles d’éviter les comportements ou les décisions socialement ou environnementalement inacceptables ». L’appropriation par les dirigeants et les managers du vocabulaire issu de la RSE semble également indiquer une certaine adhésion aux valeurs de responsabilités sociales. Cela traduit la volonté des entreprises de mieux maitriser les contraintes sociales et de favoriser un développement commercial et une performance économique durables. Ainsi, pour certains dirigeants, la responsabilité sociale est vécue comme une nouvelle contrainte, alors que pour d’autres, il s’agit d’une opportunité pour créer une image valorisante et manifester un certain volontarisme social (Attarça et Jacquot, 2005[3]).

  • Les différences de conception de la RSE entre l’Europe et les Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la pression est forte sur l’individu de se conformer aux normes du groupe. L’entreprise y est ainsi conçue comme une communauté morale dont chaque membre est responsable de la vertu. Ethique et rentabilité se soutiennent donc sans contradiction. La référence au DD n’existe pratiquement pas aux USA, pourtant c’est le contraire en France oula conception de la morale est étrangère. Pour les cadres français, éthique et affaires sont deux sphères séparées. Le concept d’éthique est d’ordre strictement privé, et s’appuie plus sur un effort de différenciation individuel plutôt que sur la conformité à des valeurs partagées. Par rapport aux origines états-uniennes de la RSE, la conception européenne a déplacé à la fois le champ d’action et la nature : « on est passé d’une responsabilité de l’acte (dommageable) nécessitant réparation à une responsabilité face aux risques, impliquant laprévention et nous allons vers une responsabilité face à des exigences de sécurité qui requièrent la précaution » (Ewald, 1997[4]).

Le cadre contextuel de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise

D’origine américaine, les chartes[5] ont d’abord été importées par les filiales des groupes multinationaux nord-américains ou anglo-saxons et ont ensuite inspiré plus récemment un nombre non négligeable de grandes entreprises françaises et européennes. Ces Codes de conduite se sont multipliés depuis les années 1970. Dans cette veine, un forum international des « pionniers de la RSE en Afrique » a été organisé au Cameroun en 2011. L’objectif de cette importante manifestation organisée avec le soutien institutionnel de la Commission de l’Union Africaine (UA) pour le Droit International et des Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLUA) était la co-construction par l’Afrique et pour l’Afrique d’une RSE adaptée au contexte africain. A l’occasion, la première charte africaine d’engagement en faveur de la RSE sous forme de Manifeste a été adoptée. Le texte adopté le 10 novembre 2011, met l’accent sur le prix qu’attachent les chefs d’entreprise d’Afrique à la définition d’un modèle de développement durable pour l’Afrique et par l’Afrique. Celui-ci servira de plateforme de rassemblement à des initiatives qui vont se dérouler dorénavant en vue de promouvoir la RSE en Afrique, à travers la formation, la remise de prix et l’échange de pratiques, et un dialogue ouvert avec les autorités politiques et administratives, les représentants de la société civile, syndicats et ONG afin que la croissance attendue en Afrique intègre les principes universels attachés à la RSE tels que définis dans l’ISO 26000 dans le Cadre d’une adaptation aux réalités locales (voir tableau ci-contre).

Tableau 1 : Les pratiques de RSE

Questions centrales de la norme ISO Indicateurs de RSE
 Protection de l’environnement Protéger les ressources naturelles, recyclage des déchets, lutter contre la pollution et les gaz à effet de serre, promouvoir les produits biodégradables, équilibrer l’utilisation de l’eau et de l’électricité, respect des règlements environnementaux.
Prises en compte des attentes des parties prenantes Pratiques loyales en matière de commercialisation, d’information et de contrats,
Engagement sociétal Bien être communautaire (santé, éducation, culture), aide au développement local (promouvoir les fournisseurs locaux, création d’emploi des jeunes, accompagner les TPE, les ONG, favoriser la propreté, sponsoring
 Ethique Promouvoir les valeurs éthiques, lutte contre la corruption, engagement politique responsable, concurrence loyale…
Respect des normes fondamentales du travail Respect des règlements en vigueur au regard de la durée du travail, du salaire minimum…
Respect des droits fondamentaux des travailleurs et des droits de l’homme Management des ressources humaines en cohérence avec les principes de développement durable, Conditions de travail et protection sociale, dialogue social, santé et sécurité au travail, formation, gestion des carrières, développement du capital humain, remédier aux atteintes aux droits de l’homme, discrimination et groupes vulnérables…
 Gouvernance de l’organisation Application du principe de redevabilité, planification de l’intégration et du déploiement de la responsabilité sociale…

Source : inspirée des indicateurs de RSE de l’ISO 26000

Le Manifeste de Douala, le bilan du forum ainsi que les résultats complets sur la RSE en Afrique ont été présenté publiquement le 10 novembre 2011 au World Forum de Lille en France, sous l’impulsion d’un cabinet d’expertise spécialisé sur l’économie durable en Afrique, appelé Institut Afrique RSE qui accompagne les acteurs publics et privés dans leurs stratégies de Responsabilité Sociale et d’ISR.

Au Cameroun, le magazine Malaria mène une étude depuis 2012 sur la perception de le la RSE par les populations qui sont interrogées sur les pratiques RSE des entreprises. Le magazine effectue un classement des entreprises dont les pratiques sont perçues comme étant les plus responsables.

Au-delà, il existe, semble-t-il, une RSE africaine. Le constat peut tenir à la vision différente de la finalité de l’entreprise elle-même. En Occident par exemple, l’entreprise est une finalité en soi. En Afrique, elle est un moyen : l’entrepreneur ne travaille pas seulement pour son compte, mais aussi pour ses proches, sa famille, et plus généralement pour sa communauté. L’entreprise n’est donc pas dissociable du sociétal : la société est présentée à l’intérieur même de l’entreprise dont le fonctionnement est communautaire ou familial (Wong, 2011[6]).

Les freins à la pratique de la RSE dans les PME

Certains facteurs de contingence peuvent constituer des handicaps à la mise en œuvre d’une politique de RSE au sein des entreprises. Nous avons retenu la taille de l’entreprise et le chiffre d’affaires, la centralisation de la décision dans l’organisation, la faible spécialisation et les réticences des dirigeants.

La taille et le chiffres d’affaires de l’entreprise

En ayant une grille de lecture de la démarche RSE en termes de coûts, des arguments liés à la taille et au chiffre d’affaires peuvent être évoqués pour expliquer en partie, la réticence de certaines PME à s’engager dans cette voie. En effet, dans la mesure où la survie de la PME constitue souvent 1’objectif prioritaire des dirigeants, le coût d’un processus de labellisation RSE peut s’avérer rédhibitoire pour un engagement du dirigeant dans cette démarche, surtout que la mise en œuvre de la RSE pourrait être plus coûteuse que les bénéfices attendus. Ainsi, la marge de manœuvre financière de la majorité des PME serait insuffisante pour absorber le coût d’initiatives majeures de RSE et à fortiori pour supporter unsystème de gestion formel de monitoring et de reporting de responsabilité sociale. L’absence typique d’activités de veille environnementale et d’interactions structurées avec le réseau desstakeholders ferait également en sorte que les PME soient moins conscientes des opportunités et des moyens de s’engager dans la RSE (Lapointe et Gendron, 2005).

La centralisation de la décision dans l’organisation

D’après Delchet (2007), l’horizon de court terme induit par l’adoption d’une organisation centralisée peut constituer un frein aux initiatives RSE. En effet, les priorités à court terme relèvent très souvent de décisions opérationnelles qui sont centralisées sur la personne du dirigeant très souvent propriétaire. Le risque du manque de recul et d’anticipation peut alors impacter négativement sur les initiatives en matière de RSE en laissant peu de temps dédié à la réflexion stratégique et de formalisation.

La faible spécialisation

Selon Delchet (2007), un faible degré de spécialisation peut induire un frein à la mise en place d’une politique RSE à cause des compétences limitées, du manque de formation, de la méconnaissance de la législation ou des programmes d’appuis ainsi que des solutions disponibles.

Les réticences de nombreux dirigeants

Des facteurs tels que des réticences vis-à-vis de la RSE, comme des sceptiques vis-à-vis du DD ont tendance à faire passer ces concepts pour des phénomènes de mode et peuvent limiter intégration par l’entreprise de ces démarches. Le caractère utopique conféré à la RSE peut à lui seul constituer un frein à celle-ci, ou encore, il peut s’agir de la crainte de se voir entrainer au-delà du cadre de la seule responsabilité de l’entreprise, ou bien de la peur de la complexité qu’exigerait la mise en place d’un programme RSE. Courrent (2012), souligne que le principal frein d’intégration de démarches responsables est la connaissance même des principes RSE par le dirigeant entrainant des difficultés en interne à conduire le changement induit par la démarche RSE.

En effet, bien qu’intuitivement attrayante, la responsabilité sociale reste un engagement complexe et parfois très exigeant pour une organisation.

METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 

Démarche d’identification des pratiques de la RSE au sein des PME agroalimentaires.

Notre travail est de nature qualitative et repose sur la méthode des études de cas multiples réalisée auprès de cinq PME appartenant au secteur agro-alimentaire. Le choix de cette méthode se justifie par la portée compréhensive de nos travaux. L’étude de cas convient à l’étude des phénomènes nouveaux et complexes (Miles et Huberman, 2003 ; Yin, 2003). Selon Miles et Huberman (2003), l’étude de cas a pour objectif de fournir des explications fines et profondes tout en tenant compte des spécificités contextuelles. La logique d’aller-retour entre la littérature et le terrain s’est effectuée en vue de parvenir à une compréhension plus fine du phénomène étudié. La sélection des cas retenus a nécessité une démarche en trois étapes à savoir :

  • Un recensement des PME agroalimentaires locales présentes au Cameroun ;
  • Une démarche exploratoire dont le but était de mieux cerner les concepts de notre étude ;
  • Une étude empirique menée auprès d’un échantillon de cinq PME répondant à l’objet de notre étude.

Nous avons choisi de mener nos enquêtes au Cameroun car, il est considéré selon Ngok Evina (2017) comme l’Afrique en miniature (diversité culturelle, climatique, linguistique) et aussi le poids des PME qui représente 98,5% des entreprises camerounaises (RGE, 2016). D’après 1’encyclopédie Larousse 2008, agroalimentaire se dit des produits agricoles conditionnés ou transformés par l’industrie. Pour le dictionnaire Microsoft Encarta 2009, c’est l’ensemble des activités industrielles concernées par le traitement et le conditionnement des produits agricoles destinés à l’alimentation. Ici, l’industrialisation est 1’ensemble du processus de fabrication de produits manufacturés, allant du prototype à la série en recherchant une forte productivité du travail. Le terme industrialiser signifie produire ou exploiter, selon les méthodes ou techniques industrielles. C’est aussi équiper un lieu en industries, étendre et intensifier les activités industrielles[7]. Nous avons choisi d’étudier les entreprises industrielles plutôt que les entreprises commerciales ou de service car elles nous permettent d’étudier la RSE dans son triple aspect économique, social et environnemental. Les données collectées sont de sources secondaires et primaires. Les données secondaires sont celles que nous avons recueillies dans les rapports, fiches et journaux d’entreprises ; tandis que les données primaires ont été réalisées à travers des entretiens semi-directifs au moyen d’un guide d’entretien. Nous avons interviewé les propriétaires-dirigeants des PME et les personnes impliquées dans la mise en œuvre des actions de la RSE (T. Ghembu et Al.,2024). Le tableau ci-dessous récapitule le modèle qui a guidé notre recherche.

Tableau 2 : Grille d’identification des pratiques de la RSE

PROPOSITION PRINCIPALE PROPOSITIONS SPECIFIQUES VARIABLES AUTEURS
Pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires Les pratiques économiques -La formation, recyclage du personnel

-La rémunération des employés et dirigeant

-La communication transparente (grille de tarification, etc.)

-L’analyse et gestion financière des coûts de production (plan d’affaires)

-Le patriotisme économique (label made in) produit bio locaux, nom du produit tiré de nos cultures

-Le développement du circuit de distribution de proximité

-Développement des réseaux d’affaires locaux et internationaux (partenariat, coopération)

-Le management participatif du dirigeant

-La charte de bonne conduite de prévention des risques accidents (sécurité)

-Gestion des crédits avec les clients fournisseurs et tiers

-Le sous-marinage économique (pratique des prix bas)

-La vente dans le pays et à l’étranger

-Les innovations des produits et procédés dans l’activité, pratiques de R&D

-Mamboundou (2003)

 

-Feudjo (2010)

 

-Igalens et Tahri (2012)

 

-ISO 26000

 

-OCDE (2002)

 

-Tekam et Kakeu (2020)

Les pratiques sociales et sociétales -La gestion des plaintes des fournisseurs, clients et tiers

Solidarité sociale (Mutuelle/tontines du personnel)

-La procédure de recrutement du personnel bien définie et appliquée dans votre PME (contribue activement à la lutte contre le chômage)

-Respect des normes de fabrication (Anor, labels, ISO 26000)

-Le respect des lois et règlements en vigueur, impôts et codes du travail

-Amélioration régulière les conditions de travail du personnel (Couverture sociale du personnel)

-L’utilisation de la langue maternelle vis-à-vis de certains clients ne s’exprimant pas bien en langue officielle (préservation de la culture, la culture d’entreprise, etc.)

-Lutte contre la discrimination et marginalisation des femmes

-La pratique du sponsoring et/ou du mécénat, dons

-L’offre des stages de vacances ou académiques aux élèves et étudiants

-Engagement dans le développement local (investissement socialement responsable)

-Bertrand (1991)

 

-Alvesson (2002)

 

-Igalens et Tahri (2012)

 

-ISO 26000

Les pratiques environnementales -Pratiques des Mesures sanitaires et environnementales

-La gestion des déchets et externalités négatives

-La valorisation des produits agricoles du terroir

-La promotion de l’alimentation durable (lutte contre le gaspillage d’utilisation de produits agricoles, l’eau, énergie, papier, etc.) dans les ateliers

-Igalens et Tahri (2012)

-ISO 26000

-Berger-Douce (2008)

Source : Auteurs, adapté des travaux d’Igalens et Tahri (2012), du référentiel ISO 26000, Mamboundou (2003), Feudjo (2010), Berger-Douce (2008), Bertrand (1991), Alvesson (2002), Tekam et Kakeu (2020).

Le tableau d’opérationnalisation des variables ci-dessus est l’instrument qui facilitera la collecte des données. C’est d’ailleurs ce tableau qui a servi de base pour la confection de notre outil de collecte des données (guide d’entretien). Pour Perrien J., Cheron E., Zins M., (1984) « l’instrument de mesure peut être défini comme le support matériel, l’intermédiaire particulier dont va se servir le chercheur pour recueillir les données qu’il doit soumettre à l’analyse ».

Dans le cas d’espèces, nous avons utilisé un guide d’entretien comportant un certain nombre de thèmes précis à aborder, et auquel nous avons joint un protocole d’entretien composé d’un ensemble de questions relativement ouvertes et précises, servant de canevas au dit guide dans le but de l’opérationnaliser, de le rendre mesurable. Pour ce faire, notre guide d’entretien a été structuré en quatre (04) thèmes, dont le contenu et les objectifs poursuivis ont été les suivants :

Tableau 3 : Présentation du guide d’entretien

Contenu Objectifs poursuivis
Thème 1 : Profil et contexte de votre PME L’obtention des informations relatives à la PME sa catégorie, sa forme juridique, son histoire et évolution ; les caractéristiques du dirigeant.
Thème 2 : La responsabilité sociale d’entreprise de votre PME Le recueil des informations sur la signification de la RSE dans leur entreprise, sur les actions concrètes engagées, sur les enjeux et mesures de la RSE dans la PME agroalimentaire au Cameroun.
Thème 3 : Les motivations à l’intégration des pratiques de la RSE dans la PME La collecte des informations relatives aux motivations à l’intégration des pratiques de la RSE dans la PME agroalimentaire au Cameroun.
Thème 4 : Les freins à la mise en œuvre des pratiques de RSE dans la PME La collecte des informations relatives aux freins à la mise en œuvre des pratiques de la RSE dans la PME agroalimentaire au Cameroun.

Source : par nos soins.

Les 05 entretiens semi-directifs ont été réalisés pour la période allant du 10 Septembre 2020 au 26 Mars 2021 pendant une durée moyenne de 1h05 minimum pour chaque interviewé (dirigeant de PME). Par ailleurs, il a été fait des relances d’entretiens auprès de certains responsables sollicités lorsque la compréhension des informations obtenues ne nous a pas paru évidente. Ce qui correspond justement aux recommandations de Jolibert et Jourdan (2006) qui considèrent que les entretiens doivent être dans l’intervalle 45 minutes et 1 heure trente minutes. Ceci étant, la collecte des données s’est arrêtée lorsqu’il nous a semblé que la multiplication d’entretiens ne changerait pas les propos des différents acteurs interrogés (principe de saturation).

La population des interlocuteurs est constituée des dirigeants des PME. Chaque entretien retranscrit manuellement a fait l’objet d’une analyse thématique (Blanchet et al. 1992). Il convient de rappeler que le but de l’analyse thématique comme procédé d’analyse de contenu est de repérer les unités sémantiques (thèmes) qui constituent l’univers discursif de l’énoncé, ou en d’autres termes de reproduire une reformulation du contenu de l’énoncé sous une forme condensée et formelle. Dans le cadre de notre étude, il était question d’inventorier tous les énoncés sur les freins, les motivations et les pratiques concrètes de la RSE dans les PME agroalimentaires dans le contexte camerounais. En fonction des informations recueillies, cette étape a permis de cibler un certain nombre de thèmes pour l’élaboration d’un guide d’entretien soutenu d’un protocole d’entretien devant être soumis ultérieurement aux responsables ciblés.

Analyse du champ d’investigation

La théorie des liaisons de Hirschman stipule que la meilleure stratégie de développement d’une nation ou d’un pays réside dans le choix des activités dont le progrès booste d’autres progrès.

La plupart des entreprises agroalimentaires au Cameroun se déploient dans l’agriculture industrielle (niche de croissance par excellence). L’agriculture est un des secteurs prioritaires au Cameroun. En raison de la situation géographique et climatique du pays, on note une richesse et une diversification du potentiel agricole (RGE/INS, 2016).

Elle est la principale source d’emplois, car elle occupe près de 70% de la population active, contribue à l’ordre de 42% au PIB et représente 51% des exportations. (Cameroun Report, 2014). L’industrialisation des produits agricoles touche des domaines tels que : la raffinerie (huile de palme), la savonnerie, la confiserie, les jus de fruits naturels, les boissons, le tabac, etc. D’après le Rapport de l’ONUDI (2015), le Cameroun entre de plein- pieds à la réduction de la dépendance des activités manufacturières liées aux ressources naturelles. D’après cet organisme, le faible niveau d’industrialisation du Cameroun se justifie par sa position d’interface entre le secteur formel et le secteur informel. Le secteur informel contribue à hauteur de 54% à la constitution du PIB. Par ailleurs, il résorbe près de 90% de la main d’œuvre disponible[8].

Présentation des PME étudiées et analyse des résultats

Ce paragraphe porte sur la présentation détaillée des entretiens effectués, nous allons d’abord parcourir les critères de choix des PME agroalimentaires retenues, ensuite nous allons décrire, puis présenter la vision de la RSE dans les PME agroalimentaires perçus par les interviewés et terminer par les motivations et freins rencontrées.

Les critères de choix des PME agroalimentaires étudiées

Plusieurs critères nous ont permis de retenir les PME agroalimentaires dans notre étude à savoir :

  • La taille de l’entreprise

La taille de l’entreprise qui dépend le plus souvent du chiffre d’affaires et du nombre d’employés permanents nous a permis de sélectionner les PME faisant l’objet de notre étude.

  • La branche d’activité

La branche d’activité qui a guidé le choix est l’industrie agroalimentaire qui nous a permis de nous concentrer sur cette forme de PME.

  • Le secteur d’activité

Le secteur d’activité a guidé le choix des PME dans la mesure où il nous a permis deretenir les entreprises industrielles appartenant au secteur secondaire. De plus, le recensement général des entreprises au Cameroun effectué par l’INS (2009) révèle que le secteur secondaire compte 11 685 entreprises constituées de moitié, des entreprises agroalimentaires, la plupart étant des PME. Selon le FNE, les industries agroalimentaires au nombre de 12 154 entreprises représentent en 2013 « 11% du PIB, 6% des exportations, 33% de la production industrielle et 27,2% de la valeur ajoutée ». Le recensement général des entreprises (RGE) au Cameroun effectué par l’INS (2016) révèle qu’environ la moitié des entreprises du secteur secondaire est constituée des entreprises agroalimentaires dont la plupart sont les PME. Par rapport à 2009, le RGE-2 de 2016 met en exergue une nouvelle structuration des entreprises selon les secteurs et sous-secteurs d’activité. Le nombre d’entreprises du secteur primaire stagne tandis que l’on assiste à une explosion dans le secteur secondaire et le secteur tertiaire. Dans le secteur secondaire, le nombre d’entreprises augmente pour toutes les activités. La hausse est particulièrement forte dans les industries agroalimentaires (256%), dans les industries manufacturières autres que l’agroalimentaire (173%).

  • Existence des pratiques de RSE

Les PME de notre échantillon sont celles qui mettent en pratique la RSE enleur sein, acceptent de les présenter, et sont capables d’en rendre compte de manière intègre.

  • Le profil de création

Le profil de création qui représente l’origine de la majeure partie du capital social nous a permis de sélectionner les PME détenues par des camerounais. De plus, les capitaux denotre échantillon étant totalement camerounais, cela suppose un réinvestissement des bénéfices dans l’économie camerounaise avec une baisse considérable des fuites de capitaux.

Présentation des PME étudiées 

Nous avons effectué une analyse auprès de cinq PME pour identifier les pratiques de RSE au sein des PME.  Ainsi, pour des raisons de confidentialité, nous avons attribué des noms (PME…) pour désigner les PME de notre échantillon.

Tableau 1 : Présentation des cas

Caractéristiques PME 1 PME 2 PME 3 PME 4 PME 5
Secteur d’activité Secondaire Secondaire Secondaire Secondaire Secondaire
Branche d’activité Industrie
Agroalimentaire
Industrie
Agroalimentaire
Industrie
Agroalimentaire
Industrie
Agroalimentaire
Industrie
Agroalimentaire
Activité principale Production et distribution de l’huile végétale Production et distribution de jus de fruits, lait et yaourt Production et distribution de l’eau de source Production et distribution des épices Production et distribution de vins et whiskies
Forme juridique SARL SA SA SARL SARL
Date de création 2015 2005 2000 2013 2007
Type d’entreprise PMI PMI PMI PMI PMI
Profil de création Entreprise privée camerounaise Entreprise privée camerounaise Entreprise privée camerounaise Entreprise privée camerounaise Entreprise privée camerounaise
Capital social 1 000 000 FCFA 1 600 000 000 FCFA 10 000 000 FCFA 1 000 000 FCFA 1 000 000 FCFA
Nombre d’employés permanents 10 144 88 50 120
Existence des pratiques de RSE Oui Oui Oui Oui Oui
Fonction des interviewés Promotrice DAF et l’assistant du DRH. DAF, Responsable QHSE Chef de service Directeur, Responsable du personnel

Source : nos entretiens.

Il ressort de ce tableau qu’il s’agit des Petites et Moyennes Industries Agroalimentaires camerounaises. Elles disposent d’un service, d’une direction qualité ou d’un contrôle qualité, ceci montre que ces entreprises sont plus que les autres enclins à intégrer au quotidien dans gestion les préoccupations de RSE, qui vont conduire logiquement à adopter un mode de gouvernance partenariale. Il ressort également de ce tableau que la majorité des PME au Cameroun sont des entreprises privées. C’est à partir de cette clarification que nous allons présenter les entreprises conformément au récit de chaque responsable :

Les caractéristiques de la PME 1 : « PME 1 »  

PME1 est une industrie agroalimentaire située à Douala et spécialisée dans la production de l’huile végétale Bio 100% camerounaise. Elle a été créée en 2005 par sa promotrice, finaliste des éditions 2020 et 2021 du prix Pierre Castel. Elle souhaite répondre aux exigences sécuritaires et hygiéniques en matière de production et de qualité des produits (huile de soja, huile de pistache, huile d’arachide). Son chiffre d’affaires annuel hors taxes s’élève à environ 15 millions de FCFA, avec un effectif de 10 salariés permanents. Elle a intégré dans son fonctionnement quotidien diverses pratiques de RSE. Nous y avons interviewé la promotrice.

Les caractéristiques de la PME 2 : « PME 2 »  

PME2 est une industrie agroalimentaire située à Douala et spécialisée dans la production de jus, de lait et de yaourt. Elle a été créée en 2005 pour produire sous licence d’exploitation le jus de fruits d’une industrie américaine basé à Chicago aux Etats-Unis, elle a ensuite intégré ses propres produits à la chaine de production à savoir le lait et le yaourt. Elle produit sept parfums sur les treize de la maison mère. Son chiffre d’affaires annuel hors taxes s’élève à environ 1,6 milliard de FCFA, avec un effectif de 144 salariés permanents. Elle dispose d’un parc de véhicules pour la distribution et plusieurs points de ventes, elle a le mérite d’avoir été la pionnière avec le concept de « poussettes » pour la vente de proximité. Elle a intégré dans son fonctionnement quotidien diverses pratiques de RSE. Nous y avons interviewé le directeur administratif et financier (DAF) et l’assistant du directeur des ressources humaines (DRH).

Les caractéristiques de la PME 3 : « PME 3 »   

PME3 est une industrie agroalimentaire située Douala et spécialisée dans la production de l’eau de source. Elle a été créée en 2000 et produit des bonbonnes de 19L, des bouteilles de 8L, des sachets carrés de 50cl et des sachets prestige de 33cl. Son chiffre d’affaires annuel hors taxes s’élève à environ 550 millions de FCFA, avec un effectif de 88 salariés permanents. Elle dispose d’un parc de véhicules pour la distribution et offre de l’eau fraiche ou chaude par des distributeurs qu’elle a l’avantage et le mérite d’entretenir elle-même. Elle a des pratiques spécifiques de RSE. Nous y avons interviewé le directeur administratif et financier (DAF) et le responsable qualité-hygiène-sécurité-environnement (QHSE).

Les caractéristiques de la PME 4 : « PME 4 »   

PME4 est une industrie agroalimentaire située à Douala et spécialisée dans la transformation et la commercialisation des épices camerounaise. Elle a été créée en 2013 par sa fondatrice. Elle y va d’un mélange d’ail, d’oignon, de poivre blanc de Pendja ou de Djanssang, concentré d’épices du terroir en plusieurs saveurs (poulets, poissons, viandes) pour y répondre aux exigences d’assaisonnement de belles saveurs culinaires. Elle conquiert rapidement les camerounais de la Diaspora avec un succès phénoménal grâce à la qualité exceptionnelle du produit certifié à l’Anor.  Son équipe compte environ 50 membres composé d’hommes dans la production et de femmes dans le top management sur une usine de près de 800 mètres carrés au Cameroun. Elle a intégré dans son fonctionnement quotidien diverses pratiques de RSE. Son chiffre d’affaires annuel hors taxes s’élève à environ 100 millions de FCFA, avec un effectif de plus de 50 salariés permanents. Nous y avons interviewé la chef de service opération.

Les caractéristiques de la PME 5 : « PME 5 »    

PME5 est une industrie agroalimentaire située à Douala et spécialisée dans la production de liqueurs et de vins. Elle a été créée en 2007 et a récemment commencé la production d’eau et de jus de fruit, mais n’a pas connu le succès escompté, elle a dû interrompre la production de jus à peine quelques semaines après son lancement car la machine était défectueuse et l’investissement un échec. Elle produit régulièrement deux marques de whisky et les autres, elle le fait sous commande. Son chiffre d’affaires annuel hors taxes de 2014 était de 120 millions de FCFA environ, avec un effectif actuel de 120 salariés permanents pourtant avant l’échec, son chiffre d’affaires annuel avoisinait 600 millions de francs CFA pour un effectif de plus de 200 employés permanents. Elle dispose d’un parc de véhicules pour la distribution. Elle a des pratiques spécifiques de RSE. Nous y avons interviewé la responsable du personnel et le Directeur d’exploitation.

La figure ci-contre nous présente le nuage de mots sur les caractéristiques des PME agroalimentaires au Cameroun.

Figure 1 : Nuage de mots sur les caractéristiques des PME agroalimentaires.

Source : Éditeur graphique N-Vivo 10.

Un regard attentif de ce nuage des mots sur les caractéristiques des PME agroalimentaires permet de constater que dans l’ensemble, en dehors du nom « RSE », les vocables les plus utilisés font référence au mot « pratiques », au mot « PME », au mot « l’entreprise », au mot « Agroalimentaires », au mot « motivations », au mot « production », au mot « Industrie », au mot « produits », au mot « freins », etc.

Après la présentation des caractéristiques des différents cas de notre échantillon, nous
allons présenter leur vision de la RSE. Pour ce qui est des entretiens effectués, nous présentons quelques extraits des discours (verbatims) des dirigeants :

  • Pour la promotrice de la PME 1, la RSE « C’est être responsable de nos actions envers les autres acteurs, notre l’environnement, nos partenaires ».
  • Pour le DAF et l’assistant du DRH de la PME 2, la RSE « C’est des engagements que les entrepreneurs devraient prendre vis-à-vis des parties prenantes, non seulement en termes de la gestion au quotidien du personnel, de l’environnement, même des partenaires, en principe il s’agit d’engagements sociaux, améliorer les relations entre/avec ses différents partenaires, c’est ce que je pense ».
  • Le DAF et le Responsable QHSE de la PME 3 : « En ce qui concerne la RSE, il est question pour l’entreprise d’avoir un droit de regard sur le personnel, il ne faut pas simplement se limiter au salaire et au travail, il est question de considéré cette relation sous un autre angle plus grand, c’est même la bonne gouvernance des entreprises, ici elle concerne trois volets, nous avons la société, la réglementation à respecter et l’environnement de la société ».
  • Pour la Chef de service de la PME 4, la RSE « C’est l’ensemble des actions que nous menons pour améliorer nos rapports au quotidien avec tous les autres membres de l’équipe, l’Etat, les clients, les fournisseurs, notre entourage, etc. ».
  • Pour le Directeur et le Responsable du personnel de PME 5, la RSE « C’est un terme très large. C’est la prise en compte par les dirigeants dans leurs décisions des avis des partenaires et des employés, ainsi que des besoins des parties prenantes. C’est le développement sur le long terme par la protection de l’environnement si non nous ne ferions pas des séminaires avec certaines entreprises qui nous permettent de recycler nos déchets en ce moment ».

Pour voir dans quel contexte le mot « pratiques » a été utilisé par les uns et les autres, la figure ci-dessous présente la synapsie[9] de ce mot telle que fournie par le logiciel.

Figure 2 : La synapsie du mot « pratiques » dans les discours des (sur les) PME

Source : nos résultats

Un regard attentif de cette synapsie permet de constater que dans l’ensemble, en dehors du nom RSE, le mot « pratiques » est employé dans le contexte général approprié de cette recherche c’est-à-dire la mise en place de la responsabilité sociale de l’entreprise, les actions responsables concernant les intérêts des salariés, des clients, de l’environnement, des communautés locales, etc.

L’on constate au regard de la figure ci-dessous que le mot « RSE » fait l’objet d’une utilisation récurrente par les dirigeants des PME agroalimentaires car elle est adossée sur les pratiques dans le processus d’activité des PME agroalimentaires. Ce dernier aspect est visible par la synapsie du mot telle que présentée ci-dessous.

Figure 3 : La synapsie du mot « RSE »

Source : nos résultats

L’article 3.3.5 de la norme ISO/FDIS 26000, stipule que « La responsabilité sociétale est étroitement liée au Développement Durable (DD). Etant donné que le DD couvre les objectifs économiques, sociaux environnementaux communs à tout un chacun, il peut être utilisé pour traduire les attentes plus larges de la société […]. En conséquence, il convient que la contribution au DD soit un objectif essentiel pour toute organisation engagée dans une démarche de responsabilité sociétale ». De plus, en raison de leur petite taille […  les PMI[10] peuvent, en fait représenter les opportunités intéressantes en matière de responsabilité sociétale. Elles sont généralement plus souples en termes de gestion de l’entreprise, souvent en contact étroit avec les différents acteurs locaux, leur direction générale exerce habituellement une influence plus directe sur les activités de l’organisation[11], ainsi les PME sont aptes à pratiquer la RSE. Le comportement socialement responsable affiché ou souhaité par une entreprise, est le résultat d’un processus stratégique traduit au moyen des politiques et concrètement mise en œuvre par des pratiques visibles.

Identification des pratiques de La RSE et présentation des résultats

Cette articulation de notre papier comprend les aspects associés aux pratiques de la RSE en contexte de PME agroalimentaires. Les pratiques de la RSE sont contingents aux motivations et au freins à la mise en œuvre des actions. La figure 4 ci-dessous illustre ces pratiques.

Les pratiques de La RSE dans les PME agroalimentaires

Suite aux informations recueillies à l’exploration auprès des répondants des PME agroalimentaires, nous avons recapitulé dans le tableau ci-contre les pratiques dominantes de la RSE dans nos PME agroalimentaires au Cameroun.

Tableau 3 : Etat récapitulatif des pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires au Cameroun

Concepts / cas étudiés Indicateurs  PME1 PME2 PME3 PME4 PME5 Proportion
Pratiques de la Responsabilité sociale de l’entreprise Economiques * 5/5
Sociales * 5/5
Sociétales * 4/5
Environnementales * 3/5

* Dimensions des pratiques dominantes de la RSE retenues

Source : par nos soins sur la base de l’enquête exploratoire

Le premier constat qui se dégage, est que toutes les pratiques de la RSE sont identifiées dans les PME agroalimentaires au Cameroun mais à des niveaux d’importances différentes. Les PME accordent par ordre de classement plus d’importance aux indicateurs économiques, sociales, sociétales et enfin environnementales.

Tableau 4 : Synthèse des informations des répondants de la phase exploratoire

Inter-Locuteurs Enoncés thèmes 1 et 2  (contenu des phrases) Rubriques Identifiées Catégories significatives
PME 3 Adoption d’une politique sociale attractive pour le personnel-salarié ; formation et recyclage du personnel ; Sensibilisation de la population ; la rémunération du personnel ; Etre à l’écoute, sourire ; le service après-vente – Pratiques Sociales et Sociétales

– Pratiques économiques

– Pratiques environnementales

Pratiques de la RSE
Nous assurons la sécurité des employés à la CNPS ; et developpons les pratiques du sponsoring et/ou du mécénat, dons dans notre entourage.
PME 5 Déploiement d’une gouvernance et pratiques managériales durables et responsables, à l’instar de préserver la confidentialité des données personnelles des salariés, des clients et fournisseurs ; à la rémunération des dirigeants ; à respecter les règles éthiques de déontologies et les lois du travail
PME 2 Un bon contrôle de gestion de la comptabilité permet de garantir la pérennité de la PME. De même la valorisation des produits agricoles du terroir est prépondérante pour renforcer notre impact sur la communauté locale
La mission principale de l’entreprise est de produire des biens de qualité aux clients afin de dégager des bénéfices. Ainsi, il faut s’assurer de la transparence dans la production en quantité, en qualité, dans les délais ; et aux moindres coûts.
PME 4 Pour plus d’économie, de sécurité et de performance, nous mettons l’accent sur les innovations et des principes de bonne gouvernance et une politique d’achat responsable et nous offrons des stages de vacances ou académiques aux élèves et étudiants
PME 1 Nous avons adopté de maitriser les consommations d’énergies, d’eau et promouvoir la couverture sociale du personnel dans la culture d’entreprise.
En matière RSE, nos actions visent à optimiser le stockage et la gestion des déchets ; les exigences des mesures d’hygiène depuis le Covid au sein de la PME et renforcer la propreté.

Source : Nos propres soins sur la base des verbatim réalisé, adaptés des travaux d’Igalens et Tahri (2012) et du référentiel de l’ISO 26000

Les PME étant des entreprises qui sont soumises à des facteurs motivationnels ou contraignants de divers ordres à la mise en place des actions de la RSE, la prise en compte de la contingence constitue le problème crucial de ces formes d’organisation.

Les motivations à la mise en place de la RSE dans les PME agroalimentaires

Les motivations à la mise en place des pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires sont nombreuses. Les entreprises de notre échantillon cherchent à améliorer leur image en contribuant au développement local et durable. Elles y consacrent une proportion importante de leur chiffre d’affaires 5% au moins pour leurs investissement socialement responsables (ISR). Et pour d’autres, leurs motivations vont dans le sens d’améliorer le dialogue social, de développer un environnement de travail convivial avec l’attractivité des employés, ce qui aura pour effet d’accroitre la performance organisationnelle et par ricochet augmenter les bénéfices ou de réduire les coûts. Et enfin certaines entreprises optent pour la compétitivité sur le marché international afin de se démarquer de la concurrence et ou encore respecter les exigences règlementaires de l’Etat. Ce facteur semble être indispensable à la présence des PME à l’international. Cette analyse est soutenue en ces termes par un dirigeant : « la RSE nous permet d’étendre la vente de nos produits sur le marché international en plus du marché local. Ces exigences de conformité et de la règlementation participent à accroitre notre image auprès de nos communautés ». Cependant, PME1 est plus centrée sur l’amélioration du dialogue social, l’environnement de travail convivial avec l’attractivité des employés selon la promotrice. Ses propos traduisent cette idée en ces termes : « je me soucie en majorité de mes employés, les relations sont conviviales, les réunions sont plus participatives car c’est à partir d’eux que je réalise et surmonte des challenges… ». Les motivations à la pratique de la RSE sont reliées au développement local et durable. Les PME accordent plus de crédit à la manière dont les actions sont réalisées et leur impact sur la société. Les propos d’un dirigeant soulignent ainsi : « oui, nous y impactons la vie de nos communautés que ce soient nos clients, les agriculteurs, et nos partenaires qui nous font confiance nous accompagnent à chaque fois, merci aux prix Pierre Castel, au salon Promote et le Salon International de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire… ». 

Les freins à la mise en place de la RSE dans les PME agroalimentaires

S’agissant des freins à la mise en place des pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires, ils sont liés dans l’ensemble aux ressources insuffisantes. Un des dirigeants le confirme en ces propos : « (…) nous voulons bien mettre en place plus d’actions dans le sens de la RSE, mais où sont les moyens ? La première limite technique des entreprises locales de production est le manque d’énergie (c’est une véritable épine sous les botes dans les pays subsahariens). Si nous prenons le cas camerounais vraiment ENEO ne nous aides pas ! Et ça freine considérablement sur les capacités de production et l’installation de certaines machines ». Pour d’autres la réticence du dirigeant (le profil du dirigeant) est le mobile qui freine la mise en place de la RSE. A ce sujet, un dirigeant nous rappelle ceci : « …je tiens à rappeler que de nos jours, beaucoup de dirigeants n’ont pas une bonne appréhension de la RSE, n’ont pas compris les lois de l’industrialisation (très rare sont ces promoteurs qui ont ce mindset de penser industriels, qui intègrent le business dans l’agro-alimentaire) ; notre système camerounais forme plus d’ouvriers que des industriels, et ce qu’on ne veut pas comprendre, c’est  que d’autres ont la crainte de se voir entrainer au-delà du cadre de la seule responsabilité de l’entreprise, ou bien de la peur de la complexité qu’exigerait la mise en place d’un programme RSE.  Et pourtant un style de management paternaliste, fondement de la solidarité africaine est déjà un bon point de départ pour les initiatives RSE ». Cependant, pour les PME2 et PME3, la concurrence déloyale sur le marché avec les produits importés, la liberté de pénétrer le marché grâce aux accords de partenariats économiques (APE) sur les mesures fiscales et le contre-poids des multinationales étrangères, mettent en déroute les élans d’initiative de nos PME locales qui succombent aux coûts supplémentaires des activités de la RSE. A ce sujet, leurs dirigeants nous rappellent ceci sur le pouvoir de la concurrence : « Je me permet d’apporter une petite contribution sur le pouvoir des grandes firmes multinationales, prenons le cas des grands distributeurs (à majorité des sociétés étrangères) après plusieurs enquêtes et observations, les produits locaux ‘ made in Cameroon’  peinent à s’écouler, l’espace d’occupation des produits locaux est négligeable dans les rayons des magasins, si on essaye de recenser les produits (agro-alimentaires) nous n’arriverons à ressortir 5%… ». Ces analyses se matérialisent selon la figure ci-dessous.

Figure 4 : Les pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires

Source : par nos soins.

D’après le schéma ci-dessus, la prise en compte des parties prenantes via l’analyse et gestion financière des couts de production (plan d’affaires) constitue le moyen le plus indiqué relatives aux pratiques de la RSE des PME. Les PME sont des entreprises de petite taille qui n’ont pas suffisamment de ressources nécessaires pour évoluer à l’international.  Toutefois, pour résister à la concurrence de plus en plus élevée, les PME se doivent de développer les stratégies leur permettant de pénétrer le marché, de s’y maintenir et d’avoir accès aux marchés étrangers. Ceci étant, nonobstant les freins, l’amélioration de leur image en contribuant au développement local et durable, le dialogue social, la compétitivité sur le marché international afin de se démarquer de la concurrence et ou encore respecter les exigences règlementaires de l’Etat sont les facteurs clés motivationnels de la mise en pratique de la RSE au sein des PME.

DISCUSSION DES RESULTATS ET CONCLUSION

Les différents résultats obtenus lors de nos investigations montrent que les pratiques de la RSE dans les PME agroalimentaires permettent de mettre en relief la manière dont les dirigeants des PME de notre échantillon mettent en place les actions de la RSE en contexte camerounais.

Toutes les pratiques de la RSE sont identifiées dans les PME agroalimentaires au Cameroun mais à des niveaux d’importances différentes. Les PME accordent par ordre de classement plus d’importance aux indicateurs économiques, sociales, sociétales et enfin environnementales.

Les pratiques économiques sont liées à la rémunération des employés et dirigeant, à la formation et recyclage du personnel, à la communication transparente (grille de tarification, etc.), et l’analyse et gestion financière des couts de production (plan d’affaires). Les dirigeants déclarent que la RSE nous permet d’étendre la vente de nos produits sur le marché international en plus du marché local. Les exigences de conformité et de la règlementation participent à accroitre notre image auprès de nos communautés. Les efforts dans ce sens sont orientés vers les réseaux de partenariats et la collaboration en dépit des difficultés liées aux ressources, à la bonne appréhension de la RSE et de la concurrence des grandes entreprises étrangères. Ces résultats corroborent avec les travaux de Lacoursière et Al. (2005) qui identifient les pratiques de rémunération ; ceux de Deutou Nkengwou Z. & Al. (2019), souligne qu’au Cameroun, de nombreuses PME Camerounaises utilisent des outils de contrôle (couts complets, budget, tableau de bord équilibré). Les travaux d’Etogo Nyaga (2019) qui montre que la pratique régulière de formation, recyclage du personnel développent la performance des PME.

En ce qui concerne les pratiques sociales et sociétales, les dirigeants des PME agroalimentaires valorisent l’amélioration régulière des conditions de travail du personnel (Couverture sociale du personnel), la pratique du sponsoring et/ou du mécénat, dons et enfin l’offre des stages de vacances ou académiques aux élèves et étudiants. Ces résultats corroborent avec les travaux de Waddock et Graves (1997) sur le « bon management » qui suggèrent que les managers qui satisfont l’ensemble des stakeholders ont une bonne maitrise des coûts implicites de la firme. Les travaux de Maignan et al. (1999), qui soulignent que les cultures humanistes étant sensibles aux préoccupations des parties prenantes ; ceux de Ngok Evina (2011) souligne qu’au Cameroun, de nombreuses entreprises mettent en pratique des démarches de RSE, soit pour être en phase avec les exigences du marché international, soit pour répondre aux attentes des différentes parties prenantes, soit encore pour améliorer leur image auprès du grand public.

Les résultats issus de nos analyses révèlent que les dirigeants des PME pratiquent la RSE sur leur versant environnemental. En matière environnementale, elles mettent l’accent sur la valorisation des produits agricoles du terroir et la prise en compte des mesures sanitaires et environnementales. Ces résultats confirment les travaux de F. Zahm et al. (2019), le Rapport MINEPAT (2018), les travaux de Kissami R. (2021) et ceux de Etoundi (2014) soulignent que l’entreprise doit faire face à des responsabilités très étendues, au-delà de la protection de ses intérêts propres, elle doit être capable d’anticiper les conséquences de ses actes sur le plan social et environnemental afin de garantir le bien-être de tous.

Nous avons essayé à travers cet article, d’approfondir l’ancrage théorique relatif aux pratiques de de la RSE en contexte de PME agroalimentaires. Les PME camerounaises, pourtant majoritaires dans notre économie, représentent un champ d’action qui reste encore à explorer en vue de combler les vides théoriques observés dans ce champ. Il est à noter que ce papier peut présenter des limites sur le plan théorique et méthodologique. Sur le plan théorique, la mobilisation des théories relatives à au développement durable auraient servi à mieux comprendre le phénomène étudié. Sur le plan empirique, la mesure des relations de cause à effet aurait permis de mesurer les effets des pratiques de la RSE sur la performance des PME agroalimentaires. Ces limites sont toutefois des axes de réflexion à explorer.

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FOOTNOTE

[1] Julien. P-A., op.cit, p.39

[2] Julien. P-A., op.cit, p.39

[3] Attarça, M. et Jacquot, T. (2005), « La représentation de la responsabilité sociale des entreprises : une confrontation entre les approches théoriques et les visions managériales », Actes de la Journée Développement Durable de I ‘Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Aix-en-Provence, 11 mai.

[4] Ewald, F. (1997). « L ‘expérience de la responsabilité », in De quoi sommes-nous responsables ? Paris, éd. Le Monde.

[5] La doctrine utilise indifféremment les expressions Chartes, codes de conduite, codes éthiques, guides de pratique des affaires, chartes de déontologie, manuels, voire documents internes innomés (Nguihe Kante, 2013).

[6] Cité par Nguihe Kante, 2013.

[7] Dictionnaire : le Petit Larousse Illustré, 2008.

[8] Rapport ONUDI, 2015.

[9] La synapsie dans le vocabulaire de N VIVO est une figure qui retrace tous les contextes d’utilisation d’un mot ou une expression donnée afin de permettre au chercheur de voir si ces contextes sont cohérents avec celui de la recherche. Autrement dit, NVIVO fait un tour d’horizon dans tous le corpus préalablement délimité par le chercheur pour explorer non seulement l’occurrence du mot mais surtout les mots et expressions qui l’entourent (avant et après).

[10] PMI : Petites et Moyennes Industries

[11] art. 3.3.4, encadré 3.

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